Menu

Le culte des génies en Birmanie : La légende des Frères d’Or

Le culte des génies en Birmanie : La légende des Frères d’Or

L’installation du bouddhisme à Pagan, la première capitale birmane, même avec le soutien des souverains et de la cour, n’a jamais pu effacer la pratique ancestrale du culte des génies (les Nats) qui par essence, étaient les gardiens du royaume, de ses habitants et de leurs foyers, de la famille royale et de la dynastie. Au nombre de 37, ils sont installés dans un petit temple de la pagode Swezigon. Les Nat sont morts de mort violente et craint par les Birmans qui leur vouent un culte. La légende qui suit concerne les Frères d’Or. Leur palais en bois se situe à Taungbyon près de Mandalay. C’est là que se déroule une fête encore de nos jours tous les ans au mois d’août. Revêtus de leurs plus beaux habits, des médiums souvent des hommes efféminés, (nagedo) et des fidèles dansent en l’honneur des Nats au son d’une musique endiablée. Enivrés d’alcool de palme, de rhum de Mandalay, les médiums entrent en transe possédés par les génies. La médiumnité est liée à une crise de vie qui est interprétée comme un état d’amour entre le futur médium et le Nat. Le médium est appelé « épouse du Nat » et il est chevauché par lui. La cérémonie en l’honneur des génies s’appelle Nat Pwé.

les médiums entrent en transe possédés par les génies
les médiums entrent en transe possédés par les génies

D’abord il eut le père des Frères d’Or……..

Il était une fois deux pauvres frères, Byatta et Byawi, qui vivaient en Inde. Désireux de s’enrichir, ils décidèrent de faire du commerce, achetèrent un bateau à voile et s’embarquèrent sur l’océan vers les terres situées à l’orient d’où venaient les épices et les produits précieux. Arrivés dans le golfe du Bengale, au large des côtes de Birmanie, le ciel se couvrit de gros nuages noirs et leur embarcation fut prise dans une violente tempête. Les vagues, le vent et la pluie disloquèrent leur bateau qui sombra en quelques minutes. Byatta et Byawi, terrorisés, eurent tout juste le temps de s’accrocher a une planche avant d’être précipités dans les flots en furie.

Bientôt la tempête se calma et le ciel redevient pur. Byatta et Byawi, toujours accrochés à leur planche, utilisèrent celle-ci comme radeau et, poussés par les courants, se dirigèrent vers la côte. C’est ainsi qu’ils atteignirent, épuisés mais sains et saufs, le port du royaume de Thaton. Dès leur entrée dans la ville, ils eurent la chance de rencontrer le patriarche des moines. Celui-ci se prit d’amitié pour les deux frères, s’occupa d’eux et entreprit leur éducation pour leur permettre de vivre dans le royaume. Battya et Byawi ne quittèrent plus le patriarche qui fut leur maître bien-aimé.

Un médium danse pour la Dame-bufflesse de Pegu lors d'un Nat pwe
Un médium danse pour la Dame-bufflesse de Pegu lors d’un Nat pwe

Un jour qu’ils cheminaient dans la forêt, ils découvrirent le cadavre d’un fakir alchimiste. Selon la tradition celui qui avait mangé la chair d’un alchimiste n’était jamais malade ; devenait éternel ; était capable d’effectuer en un jour un voyage de dix jours ; pouvait soulever des poids énormes et même attraper un éléphant adulte par les défenses pour la faire tomber. Le patriarche demanda aux deux frères de rapporter le corps au monastère. Ce fut une tache aisée car le poids d’un cadavre de fakir alchimiste est celui d’un bébé de 7 mois. Comme il se nourrit exclusivement de mangues et de pomme-roses, son cadavre dégage un parfum délicieux. Les deux frères soulevèrent donc avec mille précautions le petit corps parfumé, et l’emportèrent au monastère. Le corps fut déposé soigneusement dans une pièce.

Le lendemain, le patriarche fut appelé au palais du roi. Il laissa le monastère à la garde des deux frères. Dès qu’il se fut éloigné, malgré l’affection qu’ils avaient pour leur bienfaiteur, Byatta et Byawi ne purent résister à la tentation et voulurent vérifier si la tradition répandue à propos des fakirs-alchimistes était vraie. Ils allèrent chercher le corps le rôtirent et le mangèrent. Ils essayèrent ensuite leurs pouvoirs en soulevant une énorme dalle de pierre qu’ils placèrent au pied de l’escalier d’accès au monastère.

Quand le patriarche revint du palais, il vit la dalle et comprit aussitôt ce qui s’était passé durant son absence.Il questionna les deux frères qui confessèrent leur faute. Le vieil homme atterré leur tourna le dos et s’en alla tristement mener la vie solitaire d’un ermite.
La nouvelle des pouvoirs surnaturels de Byatta et Byawi se répandit bientôt dans tout le royaume. A mesure que leur renommée s’étendait, le roi de Thaton prenait de plus en plus peur pour son trône. Il résolut de se débarrasser des deux frères en les faisant assassiner. Byawi fut tué dans son lit, mais Byatta apprenant les desseins du roi réussit à s’échapper de Thaton et se réfugia a Pagan, la grande capitale du royaume de Birmanie, où il entra au service du roi Aniruddha(Anoratha). Ce roi aimait beaucoup les fleurs et Byatta reçut pour principale fonction la cueillette des fleurs de sauge qui poussent sur le Mont Popa et leur distribution à la cour de Pagan. L’offrande de ces fleurs était considérée comme un geste de respect et honorait le roi. Les ministres avaient besoin des fleurs pour exprimer leur profonde considération envers le roi et pour maintenir leur position à la cour. C’est pourquoi la responsabilité de Byatta était grande dans l’exercice de cette charge. Il allait cueillir les fleurs, à pied, dix fois par jour. La distance entre le Mont Popa et Pagan étant d’environ 50km, il devait donc sans cesse utiliser ses pouvoirs surnaturels pour effectuer sa tâche quotidienne.

L’amour avec une ogresse mangeuse de fleurs….

Chaque jour le jeune Byatta parcourait les pentes du Mont Popa, préoccupé par sa quête de fleurs, ignorant qu’il était observé par une ogresse mangeuse de fleurs, Mae Wu Hna. Désirant s’emparer du jeune homme, l’ogresse se changea en une ravissante jeune femme et attira son l’attention. Byatta la regarda et tomba immédiatement amoureux d’elle, sans savoir qu’il scellait ainsi son tragique destin. Byatta avait toujours assumé régulièrement son service. Le rapide et fidèle serviteur du roi ne fut en retard pour prendre ses fonctions que trois fois seulement : le jour de sa rencontre avec Mae Wu Hna, le jour de la naissance de son premier fils, Shwepyingyi, et enfin le jour de la naissance de son second fils Shwepyinle. Malheureusement le roi Aniruddha était extrêmement sévère et impatient. Les deux premières fois ou Byatta faillit à sa tâche, le roi le réprimanda mais ne lui posa aucune question sur les raisons de son retard. Lorsque Byatta arriva en retard pour la troisième fois dans la ville, le roi courrouce le fit exécuter sur le champ. Apres la mort de Byatta, l’ogresse devenue veuve éleva seule ses deux fils. Malgré sa tristesse, lorsque les fils de Byatta atteignirent l’age adulte, elle les présenta au roi qui avait faire périr leur père. Aniruddha voulut aussitôt les prendre à son service. Shwepyingyi et Shwepyinle firent ainsi leur entrée à la cour de Pagan. Dès lors ils furent connus sous le nom des Frères d’Or, car en birman le mot shwe signifie or.
Les Frères d’Or étaient très respectés et le roi les éleva bientôt au niveau de ses quatre plus glorieux généraux. Ils servirent ainsi fidèlement le roi dans ses campagnes où, avec les autres généraux, ils conduisirent une armée de Pagan jusqu’en Chine, pour tenter de s’emparer d’une dent de Bouddha, une des reliques les plus sacrées du Grand Maitre du bouddhisme. Le roi s’attachait beaucoup à répandre les enseignements du Bouddha dans l’espoir que cette croyance deviendrait religion nationale. L’armée ne put réussir à entrer en possession de la dent, mais grâce aux efforts des deux frères, Aniruddha put se réconcilier avec ses voisins chinois.

Un général jaloux…

En dépit de l’échec militaire, le grand général Kyanzittha- qui devint plus tard le roi de Pagan- ressentit une profonde jalousie à la vue de la popularité des Frères d’Or. Des lors, il attendit patiemment l’occasion de leur nuire auprès du roi Aniruddha.
Peu après ces évènements, le roi commanda la construction d’un nouveau temple qu’il nomma la pagode des vœux et où, si l’on priait assez fort, tous les souhaits pouvaient être exaucés. Afin de terminer rapidement la pagode, le roi ordonna à tous les hommes du royaume de contribuer à la construction avec une brique et de prendre la responsabilité de la poser eux-mêmes. C’est à e moment que les deux frères qui fréquentaient toujours les pentes du Mont Popa ou ils étaient nés, tombèrent amoureux de jeunes filles qui vivaient non loin de là et passèrent une grande partie de leur temps à les courtiser. Le roi n’en savait rien mais le général Kyanzittha ne l’ignorait pas. Pendant la construction, les jeunes gens l’intention d’effectuer un voyage au Mont Popa. Sous le couvert de l’amitié, le général Kyanzittha les encouragea à partir en leur disant que s’ils ne revenaient pas à temps, il prendrait la responsabilité de poser leurs briques.
Comme prévu, les Frères d’Or revinrent à Pagan sans s’inquiéter de leur retard, car ils croyaient que le général s’était occupé de poser les briques pour eux. Bien sûr, Kyanzittha n’avait rien fait de ce qu’il avait promis. Il ne dit à personne qu’il manquait deux briques. Quand la pagode fut terminée, les Frères d’Or se joignirent à la procession royale qui se rendait à la consécration du temple. Lorsqu’il eut atteint la pagode, le roi s’arrêta pour regarder ce grand monument. Il s’aperçut rapidement qu’au-dessus de l’entrée principale, il y avait un emplacement vide : celui des deux briques. Il demanda la raison de cette imperfection dans sa pagode. Kyanzittha la lui fournit volontiers, expliquant que les deux frères n’avaient pas contribué à la construction, mais omettant de préciser qu’il avait promis de le faire pour eux. On a vu que le roi n’était ni patient ni indulgent : il fit immédiatement mettre à mort les Frères d’Or. Tel fut le destin de fils, comme celui de leur père avant eux. Ils moururent à cause de l’amour qu’ils avaient rencontré sur les pentes parfumées du Mont Popa.

L’heure de la vengeance

Le roi ne découvrit jamais que le général Kyanzittha avait trahi sa promesse aux Frères d’Or. Leur mère apprenant le sort tragique de ses deux fils mourut le cœur brisé. Elle devint Nat et fut nommée « la Reine Mère de Popa ». Les Frères d’Or estimaient qu’ils avaient honnêtement servi le roi, c’est pourquoi, dans leur ressentiment contre ces morts brutales et imméritées, ils devinrent les plus dangereux des Nats. Ils se vengèrent du royaume de Pagan en lui créant de nombreux ennuis. Ils surveillaient tout. Rien n’échappait à leur attention et rien ne se passait selon les prévisions du roi.

Un jour le roi voulut faire préparer son navire pour effectuer un voyage afin d’échapper a ces deux Nats malfaisants. Pendant l’embarquement, les porteurs et leurs marchandises tombèrent dans le fleuve et disparurent sous les eaux. Comprenant alors que c’était la seule façon par laquelle il pouvait restaurer l’ordre a sa cour et dans son royaume, le roi offrit aux Nats un trône à Taungbyon, un petit village éloigné de Pagan au nord de Mandalay où il fit construire un palais en bois.

Pendant quelques années, les autorités birmanes ont cherché à réduire sinon à supprimer le festival en l’honneur des Frères d’Or a Taungbyon générateur d’une certaine licence…mais elles n’ont pas eu plus de succès que le roi Aniruddha quand il voulut supprimer le culte des génies au profit du bouddhisme. Les Nats ne se laissent pas domestiquer.

Ceux qui les craignent et veulent s’attirer leurs bonnes grâces respectent un certain nombre de rites. Ils ne mangent pas de porc et ne placent pas de porc sur leur autel, car ces Nats étaient de par leur père d’origine indienne et musulmans. Selon la légende, si un des fidèles mangeait de cette viande proscrite, les Nats lui feraient vomir du sang. Ils sont connus pour détester l’odeur des cadavres. Si un des fidèles assiste à des funérailles, ils le feront trébucher sur son chemin ou s’évanouir.