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Rites et coutumes autour de la naissance au lac Inle Birmanie

 De l’enterrement du placenta à la dation du nom chez les ethnies Intha, Pao et Taungyo

Le compagnon utérin

La naissance ne donne pas immédiatement lieu à la dation du nom (dation signifie donner un nom à un enfant). Un laps de temps est laissé entre les deux évènements. Ils sont les deux extrêmes d’un processus de socialisation entre lesquels l’âme papillon nécessite d’être séparée et fixée.

Avant l’accouchement, le mari prépare un foyer provisoire qui sera par la suite rangé : il ne sera utilisé qu’à l’occasion d’une prochaine naissance. Chez les Intha l’ethnie qui vit sur le lac Inle, les Pao ou les Taungyo ethnies montagnardes, ce foyer est disposé dans les appartements privés. Aux « jours au foyer », c’est-à-dire les trois à cinq jours durant lesquels la jeune maman reste près de ce foyer provisoire, sur une couche également provisoire, succèdent les « jours à l’extérieur du feu ». La parturiente atteint ainsi sa pleine maturité. Le séjour près d’un feu après l’accouchement, on le sait est un élément récurrent en Asie du Sud-Est. L’ethnologue Georges Condominas souligne le rapprochement entre la station près du feu qui prépare la femme à la maternité et l’ordination qui change un adolescent immature en un homme prêt au mariage et à la paternité.

fête du lac en octobre-novembre
Fête du lac Inle

C’est à partir du moment où les rituels post-natals ont été convenablement effectués que la jeune maman peut prendre sa première douche chaude, non pas à l’extérieur comme cela est fait habituellement, soit dans les eaux du lac, soit dans la rivière, mais à l’intérieur de la maison, dans la cuisine ou dans la chambre. L’eau utilisée est une décoction à base de feuilles de cotonnier dans laquelle est ajoutée un nombre variable de plantes médicinales : aracée, rutacée, zingibéracée. Pendant la grossesse et les jours suivant l’accouchement, la jeune femme ne doit ni se laver avec de l’eau froide ni boire de l’eau froide, elle doit éviter de consommer de l’huile, privilégier le poisson bouilli et/ou grillé et, si possible, assaisonner son riz blanc de gingembre bouilli et de sel. Ce n’est que plusieurs jours, voire plusieurs semaines plus tard, qu’elle retrouvera un style normal de vie.

Une sage-femme aide à la naissance. Cette spécialiste est appelée « ventre + tirer+ maîtresse lorsqu’il s’agit d’une professionnelle ayant acquis une formation universitaire. Dans les villages taungyo les plus isolés, il est fait appel à une femme réputée pour ses dons et pratiquant de façon traditionnelle, c’est-à-dire sans faire d’injection : elle est appelée « praticienne des mains ». L’accouchement se fait en position accroupie ou agenouillée, plus rarement assise adossée à une cloison.

procession de la barge royale sur le lac inle
Barge royale transportant les statues de Bouddha Lac Inle

Après la naissance, le plancher est parfois battu avec la lame d’un coupe-coupe et une poignée de riz blanchi est éparpillé dans la pièce, effrayant ainsi et appâtant tout à la fois les esprits malins qui y séjournent afin de mieux les en extraire. C’est également pour s’en tenir à l’écart que la couche provisoire, sur laquelle prennent place la mère et le nourrisson, est surélevée du sol par des stipes (troncs) de bananier. Et c’est pour mieux les détourner du nourrisson qu’une attention particulière est accordée à son compagnon utérin qu’est le placenta.

Le placenta est recueilli par la sage-femme. Après l’avoir mélangé aux cendres du foyer provisoire, elle dispose le tout dans un pot en terre ordinaire. Un chalumeau (pièce en forme de tuyau) est ensuite planté dans le couvercle « pour boire et respirer » disent les Intha. Ce subterfuge permet autant de prolonger artificiellement la vie du compagnon utérin en lui permettant de respirer, que de détourner vers lui les éventuels prédateurs, esprits malveillants ou animaux sauvages, et de protéger ainsi le nouveau-né. Une fois encore, les variantes observées le sont moins au niveau des groupes ethniques que d’une famille à l’autre. D’une manière générale, le placenta, le cordon ombilical et la cendre du foyer provisoire sont réunis dans le vêtement féminin ayant servi à l’accouchement, le tout est mis dans un pot dans lequel un tuyau est enfilé, puis le pot est placé sous l’escalier ; au village taungyo de Lak Maung Kwe, le placenta est parfois enterré tel quel sous l’escalier : il y est recouvert d’une couche de terre dans laquelle un bambou évidé est enfoncé. Ce chalumeau est parfois remplacé par un simple orifice ménagé dans la terre ou au centre du linge qui recouvre le pot. Mais qu’il s’agisse d’un tube ou d’un trou, il est dans tous les cas permis au « compagnon »  de respirer. Au village pao de Te Bye Kun, le placenta récupéré dans la jupe ayant servi à l‘accouchement est jeté à l’extérieur de la parcelle domestique. Les Taungyo et les Pao ne connaissent que par ouï-dire les propriétés médicinales qu’attribuent les Intah au cordon ombilical. Une fois séché, le cordon ombilical est précieusement conservé dans une petite boîte car il est réputé être un médicament efficace pour soigner les maladies de peau, ou, dit-on, pour réconcilier deux enfants querelleurs. En revanche, les Taungyo enterrent le cordon ombilical avec le placenta.

La sage-femme-mais ce peut-être le père- est aussi en charge de l’enterrement rituel du placenta sous l’escalier d’accès à la maison. Il est alors tenu compte des critères astrologiques du moment. Le calendrier birman est consulté à cette fin. Y figurent, mois par mois les déterminations astrologiques, celles en particulier des jours auspicieux ou non auspicieux. Pa exemple en mars-avril, avril-mai et mai-juin, il ne faut pas enterrer le placenta au nord mais au sud.

L’orientation de la tête du Naga serpent mythique vénéré et génie aquatique est un critère dont il est tenu compte non seulement lors de l’enterrement du placenta, mais également lorsqu’il s’agit de définir la date de construction d’une maison ou d’étendre au sol les six poteaux principaux. Si, le jour de l’enterrement rituel du placenta, le Naga est tourné vers l’ouest, la parturiente se positionnera soit longitudinalement mais en tournant le dos à la tête du Naga, soit perpendiculairement à celle-ci.

rameurs sur le lac inle
Procession de barges  fête du lac inle

 

 Fixer l’acacia et coller l’âme papillon

Cinq ou sept jours environ après l’accouchement, c’est-à-dire le premier jour « hors du foyer provisoire », la jeune mère pose sur une feuille de bananier quelques feuilles de thé mariné ainsi qu’une soucoupe contenant une décoction à base d’huile et de sel, puis elle présente cette offrande à l’esprit domestique dont l’autel est à un angle de la maison. Les fleurs de l’autel du Bouddha a l’intérieur de la maison sont-elles-mêmes remplacées avant d’engager le rituel de la cérémonie du berceau -un hamac le plus souvent-  qui se clôturera par une offrande de nourriture au monastère.

Cette cérémonie est appelée en langues pao, intha et taungyo la « fête fixant l’acacia ». La fontanelle de l’enfant, siège de l’âme papillon, et les mains des parents sont purifiés dans une décoction de plantes à base d’acacia concinna et de Grewia abutifolia deux plantes qui poussent en abondance sur les versants montagneux de l’Etat shan. Cette ablution est complétée par une aspersion d’eau à l’aide de feuilles d’Eugenia (feuilles de la victoire). La sage-femme qui préside la cérémonie, en charge de préparer la décoction, tend alors L’enfant à sa mère. Puis elle passe les cordons de coton autour du cou du nourrisson, parfois également autour des poignets et des chevilles. Ces cordons matérialisent l’âme papillon, définie comme le principe vital de tout individu. Enfiler ces fils de coton écru, c’est signifier que l’âme papillon de la mère et du nourrisson sont désormais distinctes.

La sage-femme reçoit une rémunération d’environ cent kyat, en sus d’une somme symbolique de 1,25 kyat, une somme considérée comme auspicieuse car non finie. Une main de bananes, du thé mariné, du riz blanchi complètent par ailleurs l’offrande dite de l’acacia que la jeune mère remet à la sage-femme.

Un tel rituel est commun, avec des variantes, aux bouddhistes intha, taungyo et pao, mais également aux Birmans de la vallée de l’Irrawady et du delta, ainsi qu’aux Marma des Chittagong Hill a l’extrême ouest du pays. Le placenta « le compagnon » enfermé dans sa « maison » utérine, est enterré tandis que l’enfant est élevé dans son berceau à un niveau supérieur. Dans le même temps le placenta dépérit, offert aux esprits invités à le consommer, le bébé prend peu à peu possession d’un berceau qui n’est pas immédiatement orienté dans le sens habituellement réservé aux dormeurs, c’est-à-dire la tête vers l’autel de Bouddha. Cela ne sera possible que lorsqu’il aura été emmené au monastère pour être présenté aux bonzes. Ceux-ci alors pourront lui calculer un nom porteur de signes.

Noms prédestinés et nom porteurs de destinée

Le placenta enterré et l’âme papillon séparée de celle de la mère est l’assurance que le bébé a une destinée et une identité propres. En théorie, un nom peut désormais être attribué en remplacement de l’anonymat auquel l’appellatif habituel de « Petit vainqueur » réduisait le nourrisson. La dation du nom est une reconnaissance formelle d’appartenance à la communauté sociale et religieuse. En pratique, plusieurs semaines, voire plusieurs mois peuvent s’écouler avant que le nom ne soit choisi.

Une fois attribué, le nom d’un enfant n’est pas nécessairement définitif. Selon les étapes de la vie, une même personne peut recevoir ou décider de changer de nom quand elle le juge utile. C’est le cas en particulier lorsqu’une personne se considère « malchanceuse », en fait ne pas avoir un bon karma. Changer de nom revient à changer ou à influer le cours du destin. La malchance, par référence au solde négatif des actions passées, est généralement imputée à la méthode qui a déterminé, à l’origine, le choix du nom. Pour y remédier, des calculs astrologiques permettent de purifier le nom. Toutefois, rappelons-le, on ne change pas de nom seulement lorsque les choses vont mal, mais aussi lorsqu’on est à un tournant important de sa vie et qu’il faut placer ce départ sous les meilleurs augures. Lors de la prise de robe des jeunes novices, le supérieur du monastère leur attribue un nom pali (le pali est la langue du canon bouddhique et donc de la liturgie du bouddhisme Theravada) choisi d’après des calculs astrologiques qu’il aura lui-même réalisés.

Une méthode très simple pour déterminer le nom est l’association jours de la semaine/lettres de l’alphabet qui permet de connaitre le jour de naissance d’une personne à la seule énonciation de son nom. Une semaine renvoie en effet à une série de chiffres qui eux-mêmes renvoient à un jour donné qui lui-même renvoie à une série de lettres.

Exemple lundi correspond au chiffre 2 et aux lettres ka/kha/ga/gha/na, mardi au chiffre 3 et aux lettres ca/sha/ja/jha/na etc…

Des traités sont facilement disponibles sur les marchés, et si n’importe qui peut en théorie choisir et calculer son nom, il est recommandé de faire appel à un spécialiste. Ce peut être la sage-femme, l’astrologue du village tenant son savoir d’un bonze. Qu’il s’agisse de calculer la date d’une cérémonie, laïque ou religieuse ou qu’il s’agisse de d’attribuer un nom, les bonzes sont fréquemment consultés. Ils sont en effet investis de pouvoirs qui ne peuvent que renforcer la finalité des calculs réalisés.

 

 

 

 

 

 

Extrait du livre  «Fils et maîtres du lac, relations interethniques dans l’Etat shan de Birmanie». François Robinne 

 

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