Connue par un petit nombre de cinéphiles, la cinémathèque excentrée de Salaya à une vingtaine de kms de Bangkok surprend par sa programmation éclectique, l’absence de censure qui prévaut ailleurs et la convivialité qui y règne. A l’origine du projet, un personnage incontournable de la cinéphilie thaïe, c’est M. Dome Sukvong historien du cinéma, pionnier de la conservation et de la restauration de films à l’instar d’Henri Langlois (1914-1977) le fondateur de la cinémathèque française.

En 1981, Dome découvre de vielles bobines de films oubliées dans les tiroirs de la régie des chemins de fer. Elles dataient du règne du roi Rama VII (1925-1935). Il faut savoir qu’à l’époque de la monarchie absolue, la réalisation de films de propagande était confiée à la régie royale des chemins de fer. Cette découverte est à l’origine du combat que Dome a mené par voie de presse pour que les autorités établissent un lieu de préservation des films d’archives. Il a fallu attendre 1984 pour voir naître la fondation des archives nationales du film sous l’égide du département des beaux-arts. A l’époque, la mémoire du septième art disposait de peu de moyens. La première « cinémathèque » occupait les locaux d’une ancienne fabrique de monnaie. Vétustes et insalubres (repaire de chauves-souris, et de pigeons), sans chambre froide pour conserver les films d’archives, elle était fréquentée par une poignée de cinéphiles (sa proximité avec l’université Thammasat attirait de nombreux étudiants).
C’est lors de la participation au congrès de la fédération internationale du film d’archives (FIAF) à Stockholm en 1983 que M. Dome Sukvong a réalisé que son pays devait se doter d’une cinémathèque digne de ce nom. Lors de ce séjour, il a suivi une formation dans un laboratoire de restauration de films, visité la chambre froide de conservation des films, a échangé avec des directeurs de cinémathèques du monde entier. Il a également demandé à la FIAF d’appuyer sa demande de création d’une cinémathèque auprès du Premier ministre de la Thaïlande. Dome avait lu une lettre écrite par Rama V à la reine racontant son voyage en Europe dans laquelle il mentionne un film réalisé par un Occidental d’une durée d’une minute sur son arrivée au port de Stockholm datant de 1897. La monarchie étant une institution hautement vénérée en Thaïlande, il s’est dit que retrouver des films ayant a trait à la Thaïlande, a fortiori à la royauté et les restaurer attirerait sans doute l’attention du gouvernement.
A son retour au pays, Dome, impressionné par ce qu’il avait vu à Stockholm, imaginait déjà les plans d’une cinémathèque moderne. Hélas les fonds manquaient. Il a fallu attendre 1997 pour déménager du centre de Bangkok pour Salaya dans la province de Nakorn Pathom à vingt kms à l’ouest de la capitale. Le terrain, d’anciennes rizières, appartenait au célèbre temple Wat Bowonnivet qui le louait au Ministère de l’Education. La cinémathèque fut baptisée « Thai film archive ». Au fil des années, le budget alloué augmentant, elle se dote d’un musée, d’un laboratoire, d’une chambre froide où sont conservés les films à une température de 4 degrés Celsius, d’une grande salle de projection et d’une plus petite au confort moderne. Les visiteurs peuvent apprendre l’histoire du cinéma racontée par des guides bénévoles notamment celle de Georges Méliès. Dans la cour a été construit une réplique de la façade de l’hôtel Scribe à Paris où a eu lieu, devant trente-trois spectateurs, la première projection payante du Cinématographe des frères Lumière le 28 décembre 1895 dans le Salon indien.
