L’histoire épique de l’arbre à caoutchouc se déroule de l’Amazonie à Sumatra et du Libéria aux Philippines; elle s’étend sur cinq siècles et côtoie l’Histoire avec un grand H. Voici l’arbre qui a réellement changé la face du monde. Les Etats-Unis seront ici au premier plan, comme ils l’ont été dans toute l’histoire du caoutchouc.
Premiers contacts, premiers succès.
Nous ne connaitrons jamais le nom de celui -ou de celle – qui a découvert les propriétés du caoutchouc, car c’est depuis des temps immémoriaux que les Amérindiens du bassin de l’Amazone l’utilisent pour en faire des récipients qui gardent l’eau, des bottes ou des toiles imperméables à la pluie.
Les premiers objets fabriqués dans les débuts de l’industrie du caoutchouc avaient le défaut majeur d’être très sensible à la température. Par temps chaud, ils devenaient collants, par temps froid ils se brisaient comme du verre. En le mélangeant avec du souffre et en le traitant par la chaleur, L’Américain Charles Goodyear obtient un caoutchouc plastique, élastique et insensible aux variations de température. Nous sommes à Boston en 1839. Cette vulcanisation vient de transformer ce qui n’était qu’une simple curiosité en une matière première essentielle de l’âge industriel.
Aperçu botanique sur l’hévéa
Hévéa brasiliensis appartient, comme le ricin, le manioc ou le poinsettia, à la famille des Euphorbiacées. C’est un arbre amazonien qui atteint 50m de hauteur et 2m de diamètre. Toutes les parties vivantes contiennent du latex, mais ce dernier n’est exploité qu’au niveau du tronc. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, le latex n’est pas toxique. On peut le boire. Ne pas en boire trop : ça laisse du caoutchouc dans les dents !
Les Amérindiens exploités et décimés
Des profits énormes étaient en vue ; encore faillait-il s’assurer le contrôle exclusif des arbres producteurs et de la main d’œuvre locale, seule capable d’aller chercher ces arbres en forêt et d’en retirer le latex. Entrent alors en scène des personnages dévorés d’ambition et sans scrupules, les fameux barons du caoutchouc tel que le Péruvien Julio Arana. Il faut savoir que le fameux boom du caoutchouc s’est fait au prix du génocide des Amérindiens réduits à l’esclavage pour la récolte du latex. Arana l’un des pires barons du caoutchouc a fait des bénéfices colossaux mais dans le même temps, la population des Indiens witoto est passée de 50 000 à moins de 8000 individus ! Arana n’a jamais été condamné, ni même jugé. Nommé sénateur au Pérou, il décèdera paisiblement en 1952 à l’âge de 88 ans.
Les Anglais entrent en scène
Les Britanniques cherchent à briser le monopole brésilien sur le caoutchouc. Cléments Markham, en 1870 est l’un des dirigeants de l’Office des Indes à Londres. Ce personnage a un flair indiscutable. En 1854, il s’était procuré, au Pérou et en Equateur, des graines de quinquina (l’arbre à quinine) et il les avait introduit en Inde et à Ceylan, mettant ainsi les colons britanniques et l’armée de sa majesté la reine Victoria à l’abri du paludisme.
Markham s’ouvre de ses projets au directeur du jardin botanique royal de Kew (Kew garden est l’un des plus grands jardins botanique du monde) Sir Joseph Hooker ; ils se mettent à la recherche un collecteur connaissant bien l’arbre à caoutchouc sur la rive sud de l’Amazone et pour se faire prennent contact avec un certain Henry Wickham un Anglais excentrique vivant en Amazonie qui a écrit un livre contenant des informations de première main sur l’hévéa. Markham et Hooker se mettent d’accord pour payer 10 Livres sterling chaque lot de 1000 graines d’hévéa. Wickham se met au travail, récolte des milliers de graines et les expédie vers la mère patrie en 1874. Mais à Kew, c’est l’échec : sur les 10 000 graines, pas une seule ne germe car elles ont une vie courte car elles ne supportent pas la traversée de l’Atlantique.
Fort heureusement pour Wickham en 1876 est inaugurée la ligne Liverpool-Manaus en vapeur de 1000 tonnes. Wickham décide de se rendre en pirogue dans la forêt où il recrute des Indiens tapuyos et les charge de la récolte. 70 000 graines sont expédiées. Nous sommes en juin 1876. Les Brésiliens de l’époque parlent encore du vol du caoutchouc. A Kew, les 70 000 graines sont semées ; 4% germent. C’est un grand succès pour l’Angleterre et ses colonies asiatiques.
En route vers l’Asie
En aout 1876, un navire quitte la Grande-Bretagne à destination de Colombo dans l’ile de Ceylan. Il porte à son bord des plantules d’hévéa. En 1877, des plants sont répartis dans divers pays d’Asie du Sud-Est : Malaisie, Bornéo, Singapour, etc…
Un jeune botaniste anglais directeur du jardin botanique de Singapour Henry Ridley démontra que l’échelle industrielle nécessitait une saignée chaque matin et que le latex pouvait être coagulé à l’acide acétique : toutes ces procédures sont encore en usage de nos jours dans les plantations.
Les plantations asiatiques se développent à un rythme accéléré : en 1910, l’année du lancement de la Ford T, la Malaisie avait déjà planté 40 millions d’arbres, tandis que des centaines de milliers d’immigrants chinois et tamouls étaient employés dans les plantations.
Le caoutchouc et la guerre
Quatre jours après Pearl Harbor, le gouvernement américain interdit l’usage du caoutchouc pour tout objet non considéré comme essentiel à l’effort de guerre ; la fabrication et la vente de pneus pour les voitures particulières sont notamment mises hors la loi. Trois mois après Pearl Harbor, les armées japonaises envahissent Singapour, la Malaisie et l’Indonésie ; C’est cette fois l’Allemagne et ses alliés qui vont se réserver le monopole du caoutchouc d’Asie. Les Américains n’avaient aucun espoir de gagner la guerre sans caoutchouc. Chacun des bateaux coulés à Pearl Harbor contenait plus de 20 000 pièces en caoutchouc, pour un total de 80 tonnes ; il en fallait 1 tonne pour un avion, 0,5 tonne pour un tank, à peine moins pour un simple camion militaire. En Europe comme aux Etats-Unis, le problème était rendu plus compliqué encore par le fait que 95% du caoutchouc mondial provenait de ces fameuses plantations d’Asie contrôlées par les Japonais. En ce qui concerne le caoutchouc synthétique, la situation était difficile car ni la qualité, ni la quantité n’étaient suffisantes.
Caoutchouc synthétique
En 1954, les Etats-Unis produisent 92% du caoutchouc synthétique mondial ; en 1964, les économistes prédisent que le marché du caoutchouc naturel va s’éteindre ; mais quand les ingénieurs de Michelin lancent le pneu radial qui a de meilleures performances, dure deux fois plus longtemps et réduit de moitié la consommation d’essence, en moins de 20 ans, le pneu radial conquiert pratiquement 100% du marché mondial. Or, il se trouve que pour des raisons de résistance, les flancs d’un pneu radial doivent nécessairement être en caoutchouc naturel. En Asie et en Afrique, on se remet à planter des hévéas. La surprise reste à venir. En 1973, c’est le choc pétrolier : l’OPEP double ses prix. On comprend que l’industrie du synthétique vacille puisque, pour en fabriquer 1 tonne, il faut 3,5 tonnes de produits pétroliers. De plus, le synthétique n’est pas un très bon caoutchouc. Le naturel reste irremplaçable. S’il n’y a que 20% de naturel dans les pneus de voitures de tourisme, il y en a 40 à 90% dans les pneus à usage industriel, comme ceux des poids lourds et des métros ; quant aux pneus d’avion ou des navettes spatiales, ils sont faits de naturel à 100%-comme les préservatifs ou les gants de chirurgien. Les plantations asiatiques produisent 92% du caoutchouc naturel, le premier producteur n’est plus la Malaisie mais la Thaïlande. Des hévéas abattus, on utilise le bois d’excellente qualité : la marque Ikéa en fait des meubles
Maladie des feuilles en Amérique du Sud
Un champignon parasite le Microcyclus ulei est responsable de la maladie sud-américaine des feuilles de l’hévéa. Il empêche sa culture à proximité de l’Equateur. Résistants au parasite tant que leur feuillage est permanent, les jeunes arbres sont tués par ce champignon dès l’âge de 6 ou 7 ans, lors du renouvellement de leur feuillage.
Extrait du livre de Francis Hallé « Plaidoyer pour l’arbre » Actes Sud