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don de la robe birmanie Guy Lubeigt CNRS

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LE DON DE LA ROBE

Aspects socio-économiques d’un acte méritoire chez les bouddhistes de Birmanie.

L’équipement du moine

Selon la tradition bouddhique, le monastère (logement), la robe jaune (vêtement), le riz (nourriture) et les médicaments sont les quatre nécessités fondamentales sans lesquelles le moine ne pourrait exister ni survivre. Ces quatre nécessités lui permettent de rester dans le Sangha (la communauté des moines) pour y étudier les textes sacrés et pratiquer la méditation. C’est pourquoi le nouveau moine reçoit de sa famille ou de ses amis un équipement complet de moine mendiant au moment de son admission dans le Sangha.
Traditionnellement, les accessoires composant cet equipement sont au nombre de huit. Ils sont designés sous le nom de parikeiya. Outre les trois pièces de la robe (thingan), cinq ustensiles sacrés viennent compléter l’équipement : le bol à aumones (thabeit) noir sans couvercle; la ceinture (kapan-tcho) utilisée pour maintenir le thinbaing ( une des pièces de la robe, qui couvre la partie inférieure du corps, de la taille aux chevilles); la hachette à manche court (pekot), utilisée pour couper le bois à brûler; le rasoir; l’aiguille à coudre (at); et le filtre à eau (yesit) qui évite au pondgyi (le moine) de tuer des animalcules par inadvertance.

Ces parikeiya sont les seuls objets que le moine est autorisé à posséder à titre personnel.
Des adjonctions postérieures ont complété les parikeiya originels : l’éventail (azana ou yap) en forme de feuille de lotus; l’ombrelle (hti); les sandales (binat); la couverture de lit; la clé; le tapis de sol en cuir; le baton de pélerin ou la canne (taung hwai); le tube de baume (si tchi); le sac d’épaule shan (shan hlouai-hai); et même le briquet car les moines sont de grands consommateurs de chiroutes (cigares birmans).
La gamme des parikeiya ne cesse de s’étendre et de se diversifier. Les fidèles se les procurent auprès de marchands specialisés dont on trouve les magasins en grand nombre aux abords des pagodes. Mais, parmi tous ces objets, l’acquisition d’un trousseau de robes représente toujours pour les donateurs la partie la plus coûteuse.
Les occasions du don de la robe

don de la robe birmanie Guy Lubeigt CNRS.Tout au long de l’année, les moines de Birmanie reçoivent de multiples offrandes de robes. A l’occasion de toutes les grandes fêtes bouddhiques, notamment au début et à la fin du carême qui s’étend du mois lunaire de waso (juillet) au mois lunaire de thadingyout (octobre), les fidèles leur offrent des ensembles de robes. La pleine lune du mois de novembre est aussi l’occasion d’offrir des thingan. Il en est de même pour les fêtes des pleines lunes des mois de mars, avril, pendant lequel se tient la fête de l’eau qui marque le Nouvel An birman.
Les moines sont invités dans toutes les cérémonies bouddhiques : ordinations, libations, remise officielle des prix religieux, consécration des pagodes, festivals et foires, batiments religieux et civils, etc. A chaque invitation correspond un repas complet, diverses offrandes, y compris en argent, et souvent un thingan pour chaque moine.
La plus prisee des cérémonies est celle de l’ordination (shinbyou) qui permet à un laïc d’entrer dans la communauté monastique du Sangha. De nombreuses robes sont offertes à cette occasion, non seulement au futur moine qui devra s’en vêtir, mais aussi aux moines qui participent à la cérémonie et au supérieur (seyado) du monastère. Quand les fidèles sont très aisés, plusieurs dizaines, centaines et parfois un millier de moines sont invités pour recevoir un repas complet et diverses donations. Certains dévôts de Mandalay sont connus pour avoir fait distribuer- parmi d’autres offrandes- un millier de robes aux pondgyi invités (avec cartes d’invitation numerotées) à l’ordination de leur enfant.
Les statistiques officielles ne tiennent pas compte des diverses ordinations qui permettent à un laïc de tout âge de devenir temporairement un membre du Sangha. La plus connue est la cérémonie du shinbyou des enfants. Pour les adultes âgés de plus de trente ans, une autre céremonie qui, dans le monde du travail, prend généralement la forme d’un shinbyou collectif, permet de revêtir la robe et d’entrer dans la communauté monastique. Ces moines sont appelés dolaba rahan.
En l’absence de toute indication chiffrée concernant le nombre annuel de ces religieux temporaires, il paraît impossible d’atteindre une approximation plausible en admettant que, sur une année, ils sont au moins aussi nombreux que les religieux permanents (330.000). Selon nos enquêtes, un moine ne peut guère user plus de 2 ensembles de robes par an et il conserve en permanence un thingan neuf dans ses armoires. Il faut donc chaque année fournir 990.000 thingan aux seuls membres permanents du Sangha pour leur “consommation” courante. En ajoutant à ce chiffre celui des membres temporaires (adultes et enfants confondus) qui, eux, n’ont besoin que d’un seul thingan, on dépasse 1.320.000 robes.

Le marché de la robe monastique

Le cycle de la robe: une série de transactions occultes
Dans la mesure où les fidèles continuent à offrir des robes, même en sachant que les moines ne pourront pas les porter, la question se pose de savoir ce que font les pondgyi de leurs excédents de robes.
Les devots évitent toujours de répondre à cette question, car ce qui importe pour eux est seulement l’obtention des mérites; ce que deviennent les thingan ne les intéresse pas. Toute question en ce sens leur paraît incongrue. Ils préferent en fait ne pas admettre ouvertement qu’ils connaissent déjà la réponse: quand ils deviennent trop importants, les excédents de robes sont discrètement remis dans le circuit commercial.
Il existe deux méthodes, que l’on pourrait qualifier d’active et de passive, pour se débarasser des surplus. La méthode active consiste à envoyer le kappiya (laïc vivant en permanence dans un monastère et qui est chargé de s’occuper des questions matérielles et financières), avec un ballot de thingan, dans la grande ville la plus proche. Il y contacte un marchand d’objets religieux, généralement connu du seyado du monastère, et négocie le rachat de son paquet de robes neuves en fonction du prix courant sur le marché. La méthode passive consiste pour les religieux à attendre le passage d’un négociant specialisé qui leur rachetera d’un coup la totalité de leurs excédents de thingan. La transaction se doit de respecter certaines formes: avant d’emporter les robes qu’on lui donne, le marchand doit faire au monastère une offrande qui correspond exactement à leur valeur de rachat. Ce genre d’affaires se pratique généralement entre personnes qui se connaissent de longue date. Les négociants font la tournée de tous les villages et monastères d’une région. Ils y rendent visite à leurs amis, laïcs et moines, puis reviennent en ville revendre leurs trouvailles aux marchands d’objets religieux avec lesquels ils ont l’habitude de travailler. Ces derniers retrouvent parfois dans les lots des thingan qui portent encore le label de leur magasin ou de leur fournisseur attitré. Il suffit alors de rafraîchir le conditionnement de la robe (vérification de l’apprêt et changement éventuel d’emballage) avant de la remettre en vente. Quand les robes proviennent d’un magasin concurrent ou d’une autre région, le vendeur enlève l’étiquette pour la remplacer par son propre label…
Les bénéficiaires du circuit du thingan

L’étude des pérégrinations du thingan révèle que tous les participants du circuit en tirent profit: le tisserand, le confectionneur specialisé dans l’élaboration des robes, le fidèle-acheteur qui reçoit des mérites qui lui seront décomptés dans sa vie présente et future, le marchand-vendeur qui constitue le bénéfice de ses ventes, le moine-utilisateur qui peut se vêtir selon ses besoins et même selon ses
goûts, le moine-revendeur qui peut se procurer ce qu’il désire en revendant ses surplus, l’intermédiaire qui perçoit une commission lors de ces reventes, le marchand-acheteur qui pourra tirer un profit supplémentaire, etc.
On peut imaginer sans trop de difficultés la masse des mouvements de fonds qui accompagnent ce cycle de la robe. Aux bénéficiaires déjà mentionnés, tous dévôts zélés, on peut encore ajouter: les filateurs et teinturiers, les fabricants d’emballage plastiques, les imprimeurs de labels, les transporteurs, etc. Au plan religieux, les généreux donateurs sont eux aussi les grands bénéficiaires spirituels de ce cycle si on totalise les mérites qu’ils ont acquis. Mais, au plan financier, ils apparaissent plutot aux yeux d’un Occidental comme les victimes consentantes d’un vaste détournement. On doit cependant souligner que la simple idée d’envisager les choses sous un aspect aussi dramatique apparaît comme totalement saugrenue pour le bouddhiste birman. Afin que la morale bouddhique soit sauve, il convient aussi de préciser que les marchands ne conservent pas toujours pour eux seuls la totalité de leurs profits. Ils reversent des commissions à leurs gros acheteurs, redistribuent au moins une partie de leurs bénéfices en faveur de la religion et des religieux, et pratiquent aussi le mécénat.
Une petite brochure publiée à Mandalay le 1er septembre 1980 nous apprend que Mme Do So Thine, marchande de thingan, âgée alors de 68 ans, a dépensé 5.800.000 kyats en donations diverses entre 1934 et 1980.
On relève notamment dans cette liste la construction de plusieurs bâtiments:
-une école primaire
-une section réservée aux moines dans le département ORL de l’Hôpital général de Mandalay
-une section pour les cancéreux
-un climatiseur d’occasion pour l’Hôpital général de Mandalay
-3264 kg de sucre de palme pour les 700 moines, étudiants et professeurs du collège-monastère Maha Gandhayon de la ville d’Amarapoura.

La fabrication de la robe : une opération compliquée

Les origines de la robe

A l’origine, la robe du moine devait être faite à partir de haillons récupérés sur les cadavres des cimetières ou de vêtements en guenilles abandonnés par leurs propriétaires. Le moine mendiant devait ramasser les morceaux d’étoffe, les laver, couper, coudre et teindre pour en faire sa robe.
Cette règle particulièrement difficile à suivre fut une première fois assouplie par le Bouddha qui permit aux laïcs d’offrir des pièces de tissu pour en faire des robes. Mais les moines devaient toujours fabriquer eux-mêmes leur robe et utiliser des fils grossiers afin que la douceur du tissu ne puisse être une source de plaisir pour son propriétaire. Quant à la coupe de la robe, elle aurait été inspirée au Bouddha par un voyage dans le pays de Magadha, après qu’il eut observé la forme des champs disposés en lanières, en blocs et en ligne.
Un second assouplissement à la règle fut édicté par le Bouddha, ému du piteux état d’une trentaine de moines venus lui rendre visite dans son monastère après un long voyage sous la pluie. Les moines furent autorisés à recevoir des laïcs des robes neuves toutes faites, une seule fois par an, à la fin de la saison des pluies. Ce fut l’origine de la cérémonie du don de la robe, kathina, qui, parce que c’est un “cadeau fait au bon moment” (kaladana)-quand les moines en ont le plus besoin-, confère les plus grands mérites au donateur.

Une fabrication très spécialisée

Il n’existe plus de moines confectionnant eux-mêmes leur trousseau de robes. Ces derniers sont désormais fabriqués, souvent à partir de tissus importés, par des artisans specialisés.

Les principaux marchands de parikeiya, ceux qui détiennent leur propre marque de thingan, achètent les tissus chez les grossistes importateurs, font fabriquer les robes par les couturières travaillant à la tâche à domicile ou chez eux.
La plus remarquable de cette opération est que la robe n’est pas taillée dans de grandes pièces de tissu. Celle-ci doit d’abord être découpée en lanières de tailles diverses avant d’être réassemblées et cousues pour faire une robe. Sur ce point, la règle originelle est respectée car la robe est toujours composée d’un nombre de morceaux de tissu plus ou moins grands qui font sa valeur. La qualité du tissu utilisé ne joue qu’un rôle secondaire dans l’établissement du prix. Ce dernier est essentiellement détermine par le nombre de pièces qui composent la robe. Plus cette dernière comporte de sections et plus son coût sera élevé. En outre, la nécessité de faire de nombreuses coutures pour recoudre toutes les pièces conduit à une consommation plus élevée du métrage de tissu…ainsi, un dukot de 2,74 x 2,08 mètres peut être composé de 15 lanières découpées elles-mêmes en sections. Les plus coûteux comprennent jusqu’a 155 pièces découpées dans un même tissu, puis soigneusement recousues entre elles… Ce travail compliqué est très prisé des couturières specialisées car la fabrication de robes monastiques leur apporte de nombreux mérites dont elles espèrent profiter dans leur vie future.

Article tiré d’une recherche menée par Guy Lubeigt CNRS

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